La fugue de Betty

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Dimanche soir,  20h, Solal a  immigré chez son père pour la semaine. A chaque fois, je fais bonne figure, mais je ne peux pas m’empêcher d’avoir la loose, la loose du dimanche soir. Une loose qui vient de loin et qui peut parfois être pleine de surprise.
 
Quand j’étais ado, je détestais le dimanche soir.  Je me revois devant le miroir de la salle de bains en train d’essayer de me démêler les cheveux, tout en me demandant si ma mère m’avait mise au monde. « Comment une femme avec une aussi grosse poitrine pouvait avoir une fille aussi plate que moi. Sérieux c’est bizarre. Non ? ». Le dimanche soir, on mangeait des pâtes à la sauce et des merguez en regardant « 7 sur 7 ». Pendant que je débarrassais la table, mes frères se battaient pour savoir s’ils allaient regarder le film de la Une ou la VHS de « Scarface ». A 20h30, j’étais invitée à rejoindre ma chambre, où, en regardant le plafond, je réfléchissais à la grande question qui animait toutes mes nuits : « Comment vais-je m’habiller demain ? »
 
Dimanche 20 mai 2012. Installée devant « Un prophète », une boite de Haribo sur les genoux, je me dis que finalement ça pourrait être pire, quand j’entends sonner. Dans l’embrasure de la porte, ma belle-sœur Betty, un mouchoir et une valise à roulettes à la main.
 
20h55 : Affalée sur mon canapé, elle pleure toutes les larmes de son corps : « Moi j’en peux plus, les enfants, les courses, la maison. Je m’occupe de tout le monde et qui s’occupe de moi ? Personne. J’en ai jusque-là »
Moi : Jusqu’où ?
Elle : Comment ça « jusqu’où ? »
Moi : Ben quand on dit « jusque-là », on fait un geste, en règle générale au-dessus de la tête. Si tu dis « jusque-là » comme ça on comprend pas.
Elle : De toute façon, tu m’as toujours prise pour une conne.
Moi : Et c’est pour ça que tu viens chez moi pour faire ta crise ? Elles sont où tes copines, tu sais celles avec qui tu fais les soldes privées chez Dior, tu pars en Thalasso, tu fais des injections de botox, tu bouffes des salades hypocaloriques hors de prix dans le 17e. Elles sont où ?
Elle : Je suis là parce que ton frère ne pensera jamais à venir ici. Ma décision est prise. Je vais divorcer. Ton frère, j’en peux plus… Ses soirées poker, ses costumes en lin qu’il faut repasser un peu mais pas trop, ses enfants qui ne m’écoutent plus du tout, sans parler de sa mère que je ne peux plus encadrer ! Je ne sais pas si c’est sa bouffe ou son parfum, mais dès qu’elle est là, j’ai envie de vomir !
Moi : Betty, tu parles de ma mère !
Elle : Tu en dis bien, toi, des horreurs sur elle…
Moi : Moi c’est normal, c’est ma mère. C’est comme les Juifs, ils ont droit de raconter des blagues antisémites. C’est normal, ils sont juifs. Pour le reste, au bout de 20 ans de mariage, c’est normal de traverser des crises. Et puis vous avez 5 beaux enfants…
Elle : Tu parles. Ils m’adressent la parole juste pour savoir si leur linge est propre et ce qu’il y a à manger. Ils sont ingrats, j’ai tout fait pour eux…
Moi : Tout sauf leur donner des prénoms corrects. Tu m’excuseras, mais Warren, Laura,  Jarod, Dylan et Kevin, c’est …
Elle : C’est pas Laura, c’est Laurie. C’est ta mère qui m’a obligée en m’expliquant que si j’appelais mon aînée avec un prénom en A, j’aurais jamais de garçon…
Moi : Et tu l’as crue…
22H30 : Betty refuse obstinément de répondre à son portable et de le mettre sur silencieux. Après avoir découvert qu’on ne touchait aucune pension alimentaire pour des enfants majeurs et en garde alternée, elle a :
– Retourné mes placards à la recherche d’un truc à manger qui soit « sur la liste des produits autorisés par le Beth Din de Paris »
– Posé toutes ses crèmes Clarins sur la tablette de ma salle de bains.
– Enfilé une nuisette en se dirigeant vers ma chambre.
 
En mettant son masque nocturne, elle m’a demandé de baisser le son de la télé et de monter le niveau du chauffage, précisant « Il fait hyper froid, on se croirait à Eilat en janvier ».
Entre deux sanglots et deux détails sur la vie (très intime) de mon frère, elle s’est enfin endormie en diagonale, me laissant comme seule alternative le lit-pompier de Solal.
A 2 heures  du matin, le portable de Betty a bipé dans son sac affichant  32 appels en absence et 14 textos. Je l’ai éteint, je lui ai piqué une Marlboro light et j’ai regardé la pluie tomber sur mes carreaux, en espérant que ça me ferait peut-être économiser 2 heures de femme de ménage.
 
J’ai rencontré Betty il y a 21 ans. Elle avait les cheveux méchés auburn, mettait des escarpins pointus  et trop de Terracotta. Elle n’a pas vraiment changé. Elle est restée à la mode… des années 90, refuse toujours de mettre des talons avec un jean, porte des bijoux en or jaune, trouve que Cindy Crawford est la plus belle femme du monde, ne rate jamais un concert de Patrick Bruel. Excepté mon frère, je n’ai rien en commun avec elle. Je la vois à peu près toutes les semaines et pourtant je crois bien que ce soir, on a jamais autant parlé.
 
Le lendemain, je ne sais pas si c’est le manque de sommeil où l’odeur du café chaud, mais je la trouve nettement plus sympa. Sur le miroir de la salle de bain, un mot :
« Ton frère passe me chercher dans 10 minutes. Juste le temps de te remercier pour hier. Tu sais, je me suis emportée. La vie avec Stéphane, ça a du bon. Je te laisse mes crèmes. Le gros pot, c’est contre la cellulite. Tu t’en mets le soir, un peu de sport, beaucoup d’eau, tu seras parfaite. Je te dis ça parce que franchement, de dos, t’es bien la fille de ta mère. Bises. Betty »
 
 
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
 

 
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