Pas d'alyah pour Woody

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Imaginez Scarlett Johansson en jeune israélienne, juive religieuse, épaules couvertes et jupe tombant sous les genoux, par 35 degrés à l’ombre.

 

On pourrait croire sa vie toute tracée dans une Jérusalem où la dévotion devient reine. Voilà qu’un jour, le monde de la belle qui cachait si bien ses agréables formes s’effondre. Elle qui avait appris à baisser les yeux au passage des hommes, croise le regard perçant d’un chevalier sans royaume, ex-propagandiste du Hamas reconverti dans la paix entre les peuples. Ce jeune homme, c’est Saleh Bakri. Ils se rencontrent lors d’un séminaire multiculturel financé par des entreprises allemandes rongées par une incurable  culpabilité.  De cet impossible amour naîtra un baiser, sur les remparts de Jérusalem, au son de The Girl from Ipanema.

 

Je viens de vous livrer le début d’un possible scénario réalisant un fantasme récemment attribué à Israël : faire venir Woody Allen, moyennant finance, pour qu’il y tourne son prochain film. « Prend l’oseille et immortalise-nous ! » crient les Israéliens à en croire des articles ici et .

 

Ma naïveté de petit européen me faisait penser qu’en Israël on attendait Barack Obama, pour délivrer quelques recettes miracles, ou plutôt, un équivalent de son discours du Caire au monde musulman. Que nenni !

 

Il y a même eu le projet d’une collecte. Vous trouverez ici l’invitation. Une charmante actrice  s’adresse à Woody Allen et c’est à vous de payer pour le faire venir. A cet égard, l’honneur d’Israël en prend quand même un coup. Voilà des décennies que le brillant cinéaste, intellectuel semi-pornocrate de la cote Est, les snobe ostensiblement, et certains en Israël se disent que des millions de dollars vont soudainement lui faire apprendre qu’il s’est passé quelque chose le 15 mai 1948. Hélas, trois fois hélas, la pèche n’a pas été miraculeuse, la finance juive a boudé Woody, les israéliens n’ont pas donné un shekel, le projet a fait long feu.

 

Mais ce flop ne doit pas nous empêcher de nous demander pourquoi Israël est l’angle mort de sa carrière. Pur produit diasporique, heureux dans un judaïsme américain paisible et prospère, qu’irait-il y faire ?

 

Imaginez cette scène pathétique : notre chétif cinéaste blafard sur la plage de Tel Aviv, entouré de nouveaux hébreux body-buildés, de belles plantes venues de la lointaine Odessa et de musculeux réservistes de Tsahal ? Come on, le pauvre petit serait perdu sur cette terre qu’il ignore depuis des décennies. Woody préfère les intrigues sentimentales, drôles et délirantes, dans le cadre trop connu de la bourgeoisie européenne et américaine. Il n’est ni se prétend un Philippe Roth, qui a su se saisir avec talent et courage de thèmes politiques difficiles, dépassant Portnoy et son complexe pour écrire Opération Shylock ou Un complot contre l’Amérique. Peut-être que l’on attend trop du bambin de Brooklyn, qui sait faire rire en se moquant de lui et de ses semblables, mais qui serait bien en peine de prendre la réalité israélo-palestinienne dans ses complexités. Car oui, il faut se le dire, Woody Allen aurait difficilement pu faire un film sur Israël sans que les Arabes n’y soient, et, à ma connaissance, la prise de risque pour lui eût été plus grande que le vaudeville habituel. Du stand up au check point, il y a un monde.

 

La brève volonté israélienne de l’inviter à poser sa caméra entre la Méditerranée et le Jourdain, illustre le rêve israélien d’une tranquillité européenne. Faire de la porte de Jaffa un endroit sans gravité, comme la Piazza Navona, le Pont des Arts et la Rambla. Mais la réalité des faits tient dans la présence géographique d’Israël au cœur du Moyen-Orient. Les voisins sont Damas et Gaza, les confins du sud Liban et des bédouins du Sinaï.

 

Faut-il en vouloir à Woody Allen de préférer le pastrami de New-York et le mille-feuilles de Paris, au houmous d’Abu Gosh ? Comme les compères de La Vérité !, il sait que le rire de la Diaspora ne passe pas nécessairement par Israël, dont beaucoup de Juifs connaissant les problèmes «par le cœur» comme l’a un jour magnifiquement dit Clémence Boulouque.

Samuel Ghiles-Meilhac
Samuel Ghiles-Meilhac est docteur en sociologie de l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Il enseigne à l’Institut d’études politiques de Paris et intervient régulièrement sur les ondes de RFI. Il est l’auteur de Le Monde diplomatique et Israël (Editions Le manuscrit) et de Le CRIF, De la Résistance juive à la tentation du lobby, de 1943 à nos jours – Editions R. Laffont.
 
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