Brahim Asloum remet les gants

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Face à la caméra de Jacques Ouaniche, le champion olympique Brahim Asloum interprète le rôle du boxeur Victor Perez, déporté à Auschwitz.
 
L’Arche : Qu’est-ce qui vous a plu dans l’histoire de Victor Perez ?
Jacques Ouaniche : D’abord, c’est le parcours incroyable et atypique d’un juif arabe qui ne devait pas se trouver dans un camp de concentration. S’il était resté en Tunisie, rien de tout cela ne lui serait arrivé. Il prend d’ailleurs conscience de l’antisémitisme ambiant assez tardivement. Je tenais à transcender le personnage, ce type qui vient de nulle part et qui devient une star. Il possède pourtant un parcours de vie assez rare. On trouve encore cette soif de réussite chez de nombreux immigrés qui ne peuvent pas rentrer dans leur pays tant qu’ils n’ont pas réussi. À cause de son refus de perdre la face vis-à-vis de sa famille et de ses amis, il a été déporté.
Brahim Asloum : Lorsque j’ai commencé la boxe et que je me suis retrouvé en équipe de France, une plaque commémorative de Victor Young Perez a été apposée à l’INSEP. Cette figure de la boxe est connue dans le milieu, mais plutôt auprès des aînés. Alors chaque jour, je passais devant en la regardant avec un certain intérêt. Ce film raconte l’histoire d’un homme ordinaire qui mène une vie d’homme extraordinaire. Il s’est donné les moyens d’arriver là où il était mais il a payé le prix fort de l’Histoire.
 

 
Sur quels éléments vous êtes-vous basé pour l’écriture du scénario ?
Jacques Ouaniche : On a des éléments connus concernant l’histoire de Victor : son titre de plus jeune champion du monde de boxe dans sa catégorie, sa relation avec l’actrice Mireille Balin, sa déportation à Auschwitz. Idem pour le titre de champion d’Europe qui a été invalidé, sans jamais vraiment savoir pourquoi. Moi, j’ai préféré expliquer que cela résultait du fait qu’il n’était pas français. On a également retrouvé des proches, comme Noah Klieger, qui avait 16 ans lorsqu’il a rencontré Victor à Auschwitz. Il nous disait qu’il avait eu la vie sauve grâce à lui. Là-bas, les boxeurs déportés étaient légèrement mieux traités que les autres et maintenus un peu plus longtemps en vie. Alors que Noah ne connaissait rien à la boxe, Victor lui a enseigné quelques rudiments de ce sport afin qu’il se fasse passer pour un boxeur, qu’il intègre l’équipe et qu’il survive.
 

 
Où s’est déroulé le tournage ?
Jacques Ouaniche : Durant deux mois, nous avons tourné en France, en Israël et en Bulgarie. Je trouvais que la ville de Jaffa ressemblait au Tunis des années 30. En revanche, en Bulgarie, pour le tournage des scènes de Berlin, nous avons eu quelques petits soucis. Nous avions recouvert les murs de la rue avec de grands drapeaux aux croix gammées. Certains habitants ont alors souhaité les récupérer pour les conserver chez eux. Des pétards ont même été jetés alors que Brahim jouait. Il n’a pas bougé et a continué à jouer comme si de rien n’était.
 

 
Pourquoi avoir choisi Brahim Asloum pour interpréter ce rôle ?
Jacques Ouaniche : Tout simplement parce qu’il fallait un acteur qui sache boxer ou un boxeur qui sache jouer. Et ça, ça ne court pas les rues. On a énormément bossé le jeu d’acteurs ensemble, et je suis très content du résultat.
Brahim Asloum : C’est bizarre, j’ai toujours eu l’impression que l’histoire de Victor était faite pour moi. Je me disais que si un jour j’étais amené à faire du cinéma et qu’on me proposait le rôle d’un boxeur, je refuserai… sauf pour interpréter le rôle de Victor Perez. Ce fut donc plus qu’une belle surprise. D’autant qu’on a un début de carrière assez similaire : on devient très vite champion, on attire le tout Paris, on génère beaucoup d’argent et… on fait partie de la même catégorie. Je pense qu’on se ressemblait sur une certaine mentalité aussi. Bref, j’ai l’impression qu’on se connaît, Victor et moi.
Jacques Ouaniche : Même physiquement, la ressemblance est incroyable !
 

 
L’expérience de Brahim a-t-elle été bénéfique au tournage ?
Jacques Ouaniche : Sa présence m’a permis de ne pas commettre de faute technique sur la façon de monter sur un ring ou de retirer un tabouret, par exemple. J’ai eu la chance d’avoir un remarquable conseiller technique. Et le fait d’avoir un véritable boxeur m’a permis de faire des plans beaucoup plus larges. Mais contrairement à son habitude, Brahim a dû prendre des coups de façon volontaire !
Brahim Asloum : Ce que je tenais à apporter, c’était de la crédibilité, raison pour laquelle j’ai tenu à ce qu’on donne de vrais coups. Mais le plus dur pour moi était certainement de jouer des combats de boxe. Je savais ce qui allait se passer et où étaient situées les caméras. Entre les coups écrits à l’avance et la part d’improvisation, je devais mener les cascadeurs vers ce que Jacques attendait.
 

 
Brahim, comment vous êtes-vous préparé pour incarner ce personnage ?
Brahim Asloum : Sur le plan physique, j’ai perdu 12 kg, dont 8 en trois semaines pour la fin du tournage. Je voulais me rapprocher au maximum de ce que pouvait vivre Victor dans un camp de concentration. Pour la préparation mentale, je m’endormais chaque soir avec des films sur la Shoah. Mais la claque a eu lieu lorsqu’on a commencé à jouer dans le camp. Quand vous êtes dans le dortoir, en tenue de déporté, que tout le monde est amaigri et qu’il fait -15 degrés, on se prend une réalité en pleine figure. Je n’avais qu’à regarder autour de moi pour commencer à jouer. Même quand les caporaux nazis arrivaient sur le lieu de tournage, j’étais énervé pour de vrai ! Tu imagines que tu es un rat, que tu n’existes plus. Tu as envie de mourir mais tu dois subir. Bref, tu entres dans un monde qui n’est plus compréhensible. Ce tournage ne m’a pas laissé indifférent, d’autant que j’avais le vrai numéro de déporté de Victor sur le bras. Ce fut une expérience riche et dure à la fois.
 
Que vous a apporté le personnage de Victor ?
Brahim Asloum : Victor est un grand homme car il prenait des risques. Dans son instinct de survie, il volait de la soupe et se faisait rouer de coups, juste pour aider ses coreligionnaires à Auschwitz. Il donnait le peu d’existence qu’il lui restait pour aider les gens autour de lui. Ça, c’est Victor. Je ne suis pas étonné qu’il ait été champion. Avec ce rôle, j’ai appris qu’il fallait toujours se battre. J’espère que j’aurai réagi comme lui si j’avais été à sa place. Mais ça, personne ne peut le prédire.
 

 
Confier le rôle d’un juif tunisien à un Français d’origine arabe, le symbole est puissant.
Jacques Ouaniche : C’était une évidence absolue et je voulais que ce soit comme ça dès le départ. Je revendique le terme de « juif arabe », car c’est aussi ça Victor. Il était les deux à la fois et ce n’était pas un problème pour lui. Ce mec de Tunis traînait avec ses potes, juifs et arabes, ce qui était souvent le cas dans les pays du Maghreb. Encore aujourd’hui, Victor Perez reste une star en Tunisie. Et puis il y a aussi une forte résonance avec notre époque. La première image que j’ai eue de ce garçon, c’était celle d’un mec de banlieue d’aujourd’hui, avec sa façon de parler et d’agir.
Brahim Asloum : Être un Français de confession musulmane et interpréter un Tunisien de confession juive, c’est une vraie fierté. En regardant ce film, je veux que les mômes voient Brahim Asloum et tout de suite après Victor Young Perez. Mais surtout, je veux qu’ils trouvent ça normal. Là, on aura réussi quelque chose. En plus, je joue un champion de ma discipline. Et à mon sens, quand un sport va mal, on se rattache à son histoire. Victor, c’est aussi l’histoire de la boxe tunisienne et française.
 
Avec le succès, le public de l’époque oublie d’ailleurs les origines et la religion de Victor Perez.
Brahim Asloum : Avant d’être champion et d’être salué en tant que tel, Victor a été catalogué. C’est évidemment pareil pour moi et pour d’autres sportifs. Avant, Mohamed Ali était noir. Ensuite, il est devenu Mohamed Ali. Mais il nous faut des exemples comme ceux-là pour faire avancer les mentalités.
Jacques Ouaniche : Après ses victoires, il n’était plus le « raton » ou le « youpin », mais juste un champion. Aujourd’hui, ce genre de réaction existe toujours. Ma cerise sur le gâteau, c’est d’avoir eu un vrai champion du monde devant la caméra.
Brahim Asloum : Quant à moi, ma chance c’est d’avoir été champion du monde à deux reprises : une fois en vrai et une fois au cinéma !
 
Lisa Serero
Young Perez, de Jacques Ouaniche (Ocean Films Distribution)
Sortie en salles le 20 novembre 2013.
 
La bande-annonce de Young Perez
 

 
Article paru dans l’Arche (nouvelle formule trimestrielle),  publié avec l’aimable autorisation de son auteur.
© photos : DR
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