Céline, voyage au bout de nazi

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Avec « Céline, La race, Le Juif. Légende littéraire et vérité historique » publié le 6 février chez Fayard, l’historienne Annick Duraffour et le philosophe Pierre-André Taguieff livrent une somme de près 1200 pages qui aura nécessité 15 années de travaux sur l’auteur de Voyage au bout de la nuit, son antisémitisme obsessionnel et son rôle de collaborateur engagé auprès des nazis.
 
Mettant à mal la thèse longtemps développée par ses divers biographes d’un Céline plus « observateur » qu’actif sous l’Occupation, les auteurs s’attachent à démonter ce qu’ils qualifient de connivence, voire d’une « complicité rétrospective » dans les ouvrages précédemment consacrés à l’écrivain. Les deux chercheurs renversent ainsi l’axiome habituellement défendu par ses admirateurs, qui voudrait que Céline soit un génie littéraire qui se serait égaré dans l’antisémitisme, démontrant, faits et documents à l’appui, qu’il n’était qu’un « raciste qui aurait aussi écrit des romans ».
 
Dans les colonnes de L’Express, Duraffour et Taguieff détaillent certaines de leurs découvertes, qui révèlent un personnage d’une extrême veulerie, dénonçant des juifs et des étrangers aux autorités allemandes à la fois par intérêt personnel et obsédé par son racisme. Réduisant à néant la fable d’un Céline qui n’aurait collaboré que via des mots et non par des actes, les auteurs mentionnent notamment les dénonciations par voie de presse de Robert Desnos et du Dr Mackiewicz, secrétaire des médecins de Seine-et-Oise, la dénonciation publique du Dr Howyan – sa collègue médecin au dispensaire de Clichy – devant une assemblée doriotiste, ou celle de Serge Lifar.
 

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« Les premières dénonciations de Céline visaient, en octobre-novembre 1940, le Dr Joseph Hogarth, médecin chef du dispensaire de Bezons. » précisent-ils à L’Express. « Céline, qui cherche à obtenir son poste, le dénonce au nouveau maire de la ville, nommé par Vichy, comme « médecin étranger juif non naturalisé », puis, mieux informé, au directeur de la Santé, à Paris, comme « nègre haïtien [qui] doit normalement être renvoyé à Haïti ». Ces dénonciations du Dr Hogarth, à qui nous dédions notre livre, montrent de quoi Céline était capable quand intérêt personnel et racisme se mettaient au service l’un de l’autre. »
 
Parmi les nombreux nouveaux éléments trouvés par les chercheurs, des « recoupements entre les textes publiés, la biographie et l’histoire événementielle [qui] permettent de montrer que Céline a été informé de l’extermination des juifs en juillet-août 1942 et font tomber l’argument régulièrement avancé selon lequel “Céline ne savait pas”. Ces recoupements confirment également la véracité du témoignage de l’écrivain allemand Ernst Jünger, systématiquement balayé d’un revers de la main par des biographes indulgents » expliquent Duraffour et Taguieff.
 

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L’un des points d’orgue de l’ouvrage est l’affirmation par les auteurs que Céline aurait été un agent des nazis, se basant sur « des faits ou des faisceaux d’indices », tels que le témoignage de Hans Grimm, Hauptscharführer SS à Rennes, rapporté par les auteurs, qui « avait déclaré devant le tribunal de Leipzig que Céline avait pu obtenir un laissez-passer pour la zone côtière interdite grâce à une recommandation de Helmut Knochen, chef de la police allemande, et qu’il effectuait des missions pour le SD à Saint-Malo. Ces déclarations, jusque-là isolées, sont corroborées par les auditions et interrogatoires de Knochen, entendu par la DST, puis par les Renseignements généraux, entre novembre 1946 et janvier 1947. Les visites fréquentes de Céline avenue Foch, dans les locaux de la police allemande, confirment ces déclarations de responsables SS. »
 
Annick Duraffour et Pierre-André Taguieff concluent avec une triste lucidité leur entretien avec L’Express : Le supposé anar pacifiste plaît aux uns, le soi-disant « médecin des pauvres » émeut les autres. Voyage au bout de la nuit ou Mort à crédit ont, à juste titre, des lecteurs admiratifs. Chez les poseurs, les snobs et les conformistes académiques, de gauche ou de droite, il est de bon ton de se déclarer « célinien ». C’est, pour beaucoup, s’identifier à bon compte à un prétendu rebelle, victime de la jalousie et de la haine des médiocres et des méchants. Telle est l’image que cet homme d’ordre aux tendances paranoïaques a réussi à imposer à la postérité.  Le « style » blanchit : oubliés le pronazi, le propagandiste antijuif, le collabo. Quand on a la chance d’avoir avec soi la Sorbonne, Gallimard, la presse culturelle et tant de personnages médiatiques, à commencer par Michel Audiard, Nicolas Sarkozy et Fabrice Luchini, tout est possible. Une certaine France adore aimer les « parias » ou les « maudits ». Céline serait-il en phase avec la culture dominante aujourd’hui ? 
 
Alain Granat
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© photos : DR
Article publié le 8 février 2017. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2017 Jewpop
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