Dessin d'Ingrid Pitt enfant Shoah par Perry Shen Jewpop

Ingrid Pitt, l'enfant rescapée de la Shoah devenue star du cinéma fantastique

11 minutes de lecture

 

La vie d’Ingrid Pitt ferait l’objet d’un incroyable scénario. L’histoire d’une petite fille juive déportée enfant vers un camp d’extermination en Pologne, qui comme Anne Frank, rêvait de Hollywood. Mais le rêve d’Ingrid, lui, se réalisera.

Elle tournera avec Clint Eastwood et Richard Burton, puis deviendra l’égérie du cinéma fantastique anglais des années 70, avant de voir, peu avant sa mort, son récit d’enfant rescapé de la Shoah adapté dans un court métrage d’animation réalisé par un petit prodige de 10 ans.

 

Photo de Ingrid Pitt en Comtesse Dracula Jewpop

Ingrid Pitt dans “Comtesse Dracula” de Peter Sasdy (1971)

 
Le père d’Ingrid Pitt (née Ingoushka Petrov) est un ingénieur aéronautique allemand d’origine russe, né en 1870, qui a vécu 20 ans en Angleterre avant de retourner en Allemagne pour s’enrôler dans l’armée du Kaiser lors du premier conflit mondial. La guerre finie, il réside à Berlin et crée une entreprise de construction d’avions civils. Sa mère, Katja, est juive. Née en 1900 à Vilnius en Lituanie, cavalière émérite, elle rencontre son futur époux, de trente ans plus âgé qu’elle, lors d’un concours de dressage à Berlin.
 
Les nazis au pouvoir, Petrov pressent les risques encourus par sa femme. Il est approché pour travailler au sein de l’industrie aéronautique militaire et refuse, prétextant être trop âgé. La Gestapo l’emprisonne alors quelques jours au camp de Sachsenhausen, où on lui fait comprendre ce qui lui arrivera, ainsi qu’à sa femme, en cas de refus de collaborer. Il décide alors de fuir le pays pour la Grande-Bretagne en prenant un train vers la Pologne, alors que son épouse est enceinte et presque à terme. C’est dans ce train, au moment de la traversée de la frontière germano-polonaise, que naît Ingrid.
 

Photo de Ingrid Pitt

 
Mauvais timing, d’autant plus que son père est recherché par les nazis, qui ne veulent pas voir s’échapper l’un des meilleurs spécialistes allemands en aéronautique. L’accouchement dans le train ne passe évidemment pas inaperçu… Au passage de la frontière, le chef de gare dénonce Petrov à un membre de la SS qui l’arrête et le renvoie sous escorte à Berlin, tandis que sa femme et son bébé restent en Pologne. À la gare de Gdansk, ville majoritairement peuplée d’Allemands, alors sous le contrôle conjoint de la Société des Nations et du gouvernement polonais, Petrov réussit à s’échapper, retrouve sa femme et son bébé puis prend la direction de Grodno, en Biélorussie, où se trouve une partie de la famille de Katja. Lorsque la guerre éclate, ils quittent Grodno pour Bialystock au nord-est de la Pologne, où les parents de Katja se sont réfugiés. En 1942, Petrov, sa femme et sa fille sont déportés de Bialystok vers le camp de Stutthof. Les grands-parents maternels d’Ingrid le seront vers Treblinka, où ils sont assassinés dès leur arrivée au camp.
 
Dans son autobiographie Life’s a dream, Ingrid Pitt raconte comment, alors que l’armée soviétique était aux portes du camp d’extermination où sa mère et elle ont miraculeusement survécu trois années, elles furent, pensait-elle, parmi les derniers déportés à être conduits vers la chambre à gaz. Mais ce sont les portes du camp qui s’ouvrent vers une marche de la mort, dont Ingrid et sa mère réchapperont grâce au passage d’un avion de chasse russe qui mitrailla les SS entourant la colonne de déportés. Katja roulera avec sa fille dans un fossé, fera mine d’être morte, couvrant Ingrid de son corps. Ils seront finalement recueillis par des partisans, qui les cacheront dans une forêt jusqu’à la Libération. Elles retournent après plusieurs mois d’errance à Berlin, où elles retrouvent Petrov, vivant. Ce dernier, considéré comme “ennemi du Reich”, est passé par plusieurs camps de concentration avant d’être libéré à la fin de la guerre.
 
Adolescente, passionnée de théâtre, Ingrid jouera au sein du « Berliner Ensemble » fondé par Brecht en 1949, mais un an après la construction du Mur de Berlin (elle réside alors dans la zone Est contrôlée par les Russes), décide de passer à l’Ouest en traversant la Spree, le fleuve qui sépare Berlin. Elle manque de se noyer et est sauvée par un soldat américain, qu’elle épousera.
 

Photo de Ingrid Pitt Jewpop

 
Ingrid Pitt quitte Berlin pour New-York, devient modèle, puis vit en Espagne après l’échec de son mariage, s’essayant à la… corrida et aux rallyes automobiles, tourne de petits rôles dans les films Docteur Jivago de David Lean, Falstaff d’Orson Welles, apparaît dans des séries tv comme L’homme de fer, avant de s’installer à Londres à la fin des années 60. Elle a la chance de décrocher le rôle de l’agent secret anti-nazi Heidi aux côtés de Clint Eastwood et Richard Burton dans le film Quand les aigles attaquent de Brian G. Hutton (finement sous-titré dans une critique du Canard Enchaîné « Les pigeons sont dans la salle » ) en 1967. Dans son autobiographie, Ingrid écrira à propos de ce film cathartique,  «D’une certaine façon, je pensais ‘je tire sur les nazis’».
 

Ingrid Pitt Jewpop

Ingrid Pitt, Clint Eastwood, Mary Ure, Richard Burton, sur le tournage de “Quand les aigles attaquent”

 
Repérée par la mythique société de production britannique Hammer, spécialiste du genre fantastique, on lui propose en 1970 le rôle de la sensuelle vampire Mircalla dans le film The Vampire Lovers de Roy Baker, d’après Carmilla, de l’écrivain gothique Sheridan Le Fanu. Comme l’explique le site Hérésie.com, «La Hammer renouvelle le mythe du vampire : Christopher Lee (ndlr : interprète mythique du Comte Dracula) a enfin un équivalent féminin. Une idole va naître et montrer à l’écran ses rondeurs voluptueuses au nom de l’horreur. Le monstre prend la forme d’une tentatrice, et pour la première fois depuis longtemps, les femmes ne sont plus des victimes. La présence à l’écran de la dominatrice coïncide avec le «girl power» de la rue, le saphisme de The Vampire Lovers collant parfaitement à la libéralisation des mœurs de l’époque».
 

 
Si les scènes troublantes entre Ingrid Pitt et Madeline Smith ont contribué à la notoriété de l’actrice, son rôle suivant, tourné quelques mois plus tard, en fait l’une des stars des studios Hammer. En Comtesse Dracula dans le film éponyme de Peter Sasdy (1971), version revisitée de la légende de la comtesse Elizabeth Bathory, célèbre pour avoir tué de jeunes vierges afin de recueillir leur sang dans lequel elle se baignait afin de sauvegarder sa jeunesse, Ingrid Pitt, comme le souligne Hérésie.com, «bouleversa toute une génération de cinéphiles érotomanes».
 

 
Décédée en 2010 à l’âge de 73 ans, après une fin de carrière chaotique et se consacrant de plus en plus à l’écriture, l’actrice n’aura pas vu terminé le court métrage d’animation inspiré de son expérience de la Shoah, Beyond the Forest. Un dessin animé dont elle enregistra la voix-off, sur un projet initié par le célèbre dessinateur américain Bill Plympton, couronné de 2 Oscars, et dont les dessins furent réalisés par un petit génie de… 10 ans, Perry Shen (qui deviendra l’un des cofondateurs du site Kickstarter). Associer le talent d’un gamin surdoué à l’histoire d’une fillette déportée douée pour la vie, un joli clap de fin pour Ingrid Pitt.
 

Ingrid Pitt Beyond The Forest

Ingrid Pitt dessinée par Perry Shen, dans le film d’animation “Beyond the Forest”

 

La bande-annonce du court métrage d’animation Beyond the Forest

 

Voir le court métrage d’animation Beyond the Forest

Ingrid Pitt: Beyond The Forest – HD from Kevin Sean Michaels on Vimeo.
 
 
Alain Granat
 
Le site officiel d’Ingrid Pitt
© photos : DR, dessin Perry Shen

Article publié le 31 mars 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop

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