Le labyrinthe du silence Jewpop

"Le labyrinthe du silence" : Auschwitz ? Ils ne connaissaient pas

9 minutes de lecture

 
Le seul défaut de ce film est peut-être son titre, que l’on parvient mal à mémoriser, comme si ses termes étaient aussi rébarbatifs que les notions qu’ils recouvrent. Ils illustrent pourtant à la perfection le thème fondamental de ce film dérangeant et instructif, dont le propos est de montrer aux spectateurs du 21ème siècle ce qui s’est produit en Allemagne à la suite de la Seconde Guerre mondiale. L’action qui se déroule entre 1958 et 1963, a pour but de mettre en lumière in situ, et en son temps, les horreurs dont ce peuple a été le complice muet (ou pire, actif), ainsi que la difficile mise en marche de sa justice.  
 
Le scénario, fondé sur une réalité historique, présente l’implication d’un jeune procureur allemand qui se retrouve chargé d’instruire le dossier des anciens gardiens et officiers SS du camp d’Auschwitz. Dans la réalité, il y eut trois procureurs affectés à cette tâche, sous la direction de Fritz Bauer (qui, bien que juif a pu survivre en se réfugiant au Danemark, puis en Suède pendant la durée de la guerre), et avec le soutien du journaliste Thomas Gnielka. Ce dernier leva, en quelque sorte, le lièvre en publiant l’histoire d’un gardien reconnu par un survivant.
 
Le film se concentre donc sur le personnage recréé de Johann Radman (Alexander Fehling), qui va se rendre compte avec horreur de ce qui s’est passé dans ce camp polonais dont lui et ses jeunes contemporains ignorent tout : même son nom ne leur dit rien, d’où la réponse étonnée (et invraisemblable ?) des passants interrogés : Auschwitz ? Connais pas. En 2015, le spectateur averti s’en raidit sur son siège.
 
À mesure qu’avance une enquête difficile, jonchée de tonnes de paperasse, et entravée par la mauvaise volonté ambiante, le jeune procureur devient un personnage intéressant, car nuancé. Le réalisateur germano-italien Giulio Ricciarelli nous fait adhérer à sa démonstration avec une redoutable efficacité. Les scènes de dépositions des survivants, par exemple, sont parfaites de sobriété : tous les écueils de la facilité ont été évités. La caméra se concentre sur la gestuelle des témoins. La façon dont tel essuie ses lunettes, le geste du bras de celle qui reproduit une gifle… un pommeau de canne empoigné par un autre : ces détails-là sont bien plus parlants ici que les mots et, de fait, il n’y en a pas un de prononcé. Et quand la caméra s’attarde sur la greffière à la présence discrète et au visage mobile, elle la rend tragique – l’incarnation de ceux à qui l’indicible est soudain révélé.
 

Photo du film Le labyrinthe du silence

 
En arrière-plan de chaque scène, la remarquable reconstitution de cette époque des années 50 contribue grandement à l’efficacité du propos. Chaque détail en a été soigné. Décors, musique, costumes et, on le perçoit, le langage utilisé lui-même, portent les dialogues et l’intrigue.
 
Parallèlement au travail de recherche des bourreaux, l’histoire personnelle du héros est emblématique, elle aussi. Johann Radman découvre avec stupéfaction la complicité passée de ceux qui l’entourent. Il s’aperçoit que celle-ci est à peine recouverte de silence, puisque les anciens nazis continuent à se retrouver et à entonner sans la moindre vergogne les mêmes chants guerriers que douze ans auparavant. C’est jusqu’à l’image du père idéalisé qui s’en trouve écornée, provoquant en lui un dilemme qui manque de le faire sombrer. Intègre et pugnace, il ne renoncera pourtant pas. Son amitié pour Thomas Gnielka, lui-même hanté par un passé honteux, et le respect du survivant emmuré dans sa douleur, seront ses aiguillons.
 
Dans tout scénario digne de ce nom une intrigue amoureuse est de mise. Celle-ci va servir avec pertinence le dessein du cinéaste. Mise à mal par les découvertes du héros, la relation entre celui-ci et Marlene, la jolie couturière (Friederike Becht), va se déchirer, tout comme la veste qu’il lui demande de réparer. Cette  métaphore – un brin prévisible – illustre le thème du film, et la période : il y a bel et bien eu une déchirure entre les amoureux, et à l’intérieur du peuple allemand. Elle est si grave que nul ne sait si elle sera réparable. Peut-être… avec le temps ?…
 
Le réalisateur annonce malgré tout un avenir apaisé : le procès-choc qui s’ensuivra en décembre 1963, le premier de la sorte en Europe, précurseur de tous les autres, empêchera quiconque de clamer son ignorance de la Shoah. Il permettra à l’Allemagne qui l’a initié de se réconcilier quelque peu avec elle-même. Et ensuite nous, avec elle. Le labyrinthe du silence n’a pas dérouté qu’un seul pays. Ce courageux film allemand a le mérite de continuer à poser des questions essentielles : celles de la culpabilité, de son déni, et de la honte. On ne peut qu’en sortir ébranlé, et admiratif du travail de mémoire qui a été effectué au cours des 70 dernières années, en Allemagne, comme ailleurs.
 
Cathie Fidler
 
Cathie Fidler est écrivain, auteur de plusieurs romans parmi lesquels Histoires floues, La Retricoteuse… du livre d’art Hareng, une histoire d’amour, co-écrit avec Daniel Rozensztroch et d’un ouvrage consacré à son père, le peintre et céramiste Eugène Fidler « Eugène Fidler, Terres mêlées » (Les Éditions Ovadia). Son nouveau roman, Creuse la terre, creuse le temps (Éditions Ovadia) est à commander ici .

Gratitude, le blog de Cathie Fidler
 
 

La bande-annonce du film

 

 
© photos :  DR
Article publié le 8 mai 2015. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop

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