Soumission, de Michel Houellebecq

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« Tout comme le libéralisme économique sans frein, et pour des raisons analogues, le libéralisme sexuel produit des phénomènes de paupérisation absolue. Certains font l’amour tous les jours; d’autres cinq ou six fois dans leur vie, ou jamais. Certains font l’amour avec des dizaines de femmes ; d’autres avec aucune. C’est ce qu’on appelle la « loi du marché » (Extension du domaine de la lutte)
« Quand les gens parlent des “droits” de l’homme, j’ai toujours plus ou moins l’impression qu’ils font du second degré » (Plateforme)
 
Le général de Gaulle se disait « Gaullien » parce que tout le monde se prétendait Gaulliste. Michel Houellebecq est un écrivain de génie quand tous les autres le disent islamophobe. Houellebecq est un homme seul, un être taciturne, désespéré du genre humain mais magnifique conteur de ses semblables qu’il fuit autant que le bruit tapageur ambiant. Après Les particules élémentaires, Extension du domaine de la lutte et Plateforme, il signe avec Soumission une nouvelle fable sur fond anxiogène, questionnements et dépit amoureux versus crise politique et sociale permanente. Un roman réussi, là où d’autres veulent tant voir un essai haineux. En somme, une construction haletante autour d’un personnage principal qui s’interroge sur sa condition de vie, ses désirs, la société française et le temps qu’il lui reste à vivre quand en 2022, Mohammed Ben Abbès, accède à la présidence de la république française.
 
Au commencement sont les êtres disqualifiés de l’Occident. Houellebecq signe un roman qui poursuit l’analyse du déclin de la culture de consommation, l’impossible solidarité, la peur permanente et des rues en ébullition. Ce n’est pas un énième opus sur les convulsions sociales, il n’y a aucune prétention à l’anticipation ni à la polémique stérile. L’auteur écrit, comme il l’a toujours fait, en solitaire, désespéré d’un modèle social dépassé, d’une libération sexuelle qui n’a rien arrangé. Sans chercher à convaincre ni convertir. Houellebecq, c’est un Gainsbourg qui n’a jamais cru en l’amour, un Rimbaud qui exècre la tendresse et se réfugie dans la contemplation du pathétique. C’est cinquante nuances de craie sur le tableau de la mélancolie. C’est l’histoire de François, maître de conférence en littérature du 19ème siècle, éminent spécialiste de Joris-Karl Huysmans qui vire nietzschéen, écrit-il, « comme c’est sans doute inévitable quand on a des problèmes de plomberie » et qui ne parvient pas à se remettre d’une rencontre avec une jolie Lolita qui fantasme sur Jean-François Copé. Parcours intellectuel et universitaire de celui qui oscille entre la déchéance de l’être et la violence des rapports amoureux. Phallocrate façon Wolinski, mais malheureux. C’est l’Université de David Lodge revisitée par les ravages du déterminisme social et la sexualité utilitaire. Un long monologue intérieur sur le genre humain, des humeurs maussades, terriblement dures mais lucides, implacables. « Il n’y a que le présent qui fasse mal, qu’on transporte avec soi comme un abcès de souffrance ». Il n’y a aucune liberté chez les modernes. Juste le droit d’être un dépressif cynique qui ne peut plus se soigner.
 
Quel positionnement adopter quand les empires ne renaîtront plus et que l’Islam a été choisi pour souder le social ? La société occidentale recherche un nouveau souffle quand l’humanisme laïc et la chrétienté ont échoué et le marxisme relégué « aux poubelles de l’histoire ». Le communisme a échoué parce qu’il n’est pas parvenu à être mondial et le rationalisme a achevé la décadence de l’Europe. Ben Abbès, nouveau président musulman de la république française, issu de la promotion Mandela de l’ENA, est un modéré. Son parti « Fraternité Musulmane » a été plébiscité à la faveur d’un consensus UMP-PS contre le Front National, avec François Bayrou en parfait et naturel premier Ministre. Ben Abbès ne cherche pas à remettre en cause la victoire de l’économie de marché et le désir d’entrepreunariat. Mais il a bien cerné le désir de loi morale et d’ordre que la France réclame. C’est donc l’Islam qui, sans violence et en douceur, va reprendre le flambeau, parce qu’il est « capable de s’opposer à la décadence des moeurs ». Alors le Ministère de l’éducation nationale sera le seul à être préempté et le modèle traditionnel du patriarcat va retrouver ses droits et chercher sa voie naturelle, le retour aux valeurs, à la sécurité et aux principes. Une sorte de paix romaine pour sauver l’empire… Il y a du Auguste Compte dans ce fait religieux supposé souder la société… De là, le personnage principal va poursuivre ses réflexions mélancoliques et son odyssée dans une ironie clinique, détachée, désabusée mais drôle, véritable politesse du désespoir.
 
Roman érudit, historique et dérangeant, Soumission a enflammé la presse et les réseaux sociaux de débats aussi réels que la fiction est assumée. Le cours de l’histoire cher au philosophe Hegel ne changera pas avec cet excellent livre, mais l’individualisme libéral ne sortira pas exempt d’une réflexion nécessaire. En cela, le roman de Houellebecq renoue avec la grande tradition littéraire naturaliste du 19ème siècle. Un roman d’apprentissage social avec sa quête de sens, son relativisme, ses doutes et ses opportunités ou opportunismes. En définitive, une satire qui déchaînera les passions, mais un humour corrosif et une appréhension continue qui caractérisent avec talents le climat délétère, et détestable, que nous vivons.
 
Jérémie Boulay
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Soumission, de Michel Houellebecq (Flammarion, 2014)
© visuel : Flammarion

Article publié le 28 janvier 2015. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2015 Jewpop

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