À la découverte de la Jewish American Princess

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Résumé des épisodes précédents. Samedi soir à Brooklyn. Au comptoir de l’un des 350 bars que compte votre nouveau quartier, vous êtes occupé à vous murger avec beaucoup de solennité tout en vous faisant brancher par un vrai-faux Loubavitch amateur de fripes et de promiscuité masculine quand, soudain, une apparition.
 
Elle a une espèce d’assurance, un petit air de supériorité qui la rend à la fois terriblement attirante et définitivement insupportable. Chaque détail de son apparence, chacun de ses gestes, tout chez elle est calculé, millimétré, maîtrisé. Sitôt le barman attelé à la préparation de la dizaine de cocktails qu’elle a commandés pour elle et ses congénères, elle sort son iPhone de son micro-sac et entreprend de distribuer quelques likes à ses amis les plus dignes du privilège.
 
Ainsi absorbée dans ses obligations mondaines, la première fois que vous lui adressez la parole, elle ne réagit même pas. On imagine mal un être de ce calibre atteint de surdité précoce : vous venez donc de vous prendre le vent le plus rapide de l’histoire de la drague. Heureusement, comme vous avez à peu près autant de dignité qu’un moule à gaufres d’occasion sur Le Bon Coin, vous l’interpelez à nouveau :
— Hey, Salut !
— Oh. Salut.
— Tu viens souvent ici ?
— Non, jamais. Mais là avec mes copines on est venues pour la pizzeria, tu sais ?
— Ah oui, j’en ai entendu parler. Il paraît que c’est top mais qu’il y a deux heures d’attente…
— Oui voilà. Du coup on boit un verre un attendant. Et vous ? Vous venez souvent ici, ton copain et toi ?
— Quoi ? Mon qui ? Non, je suis venu seul ! Je viens d’arriver de France en fait, et j’habite pas loin. C’est la première fois que je viens.
— De France ? Trop cool. Viens t’asseoir avec nous !
 
Trois quarts d’heure plus tard, tout ce que vous avez compris de vos discussions avec ces étranges créatures, c’est qu’elles sont juives, la plupart originaires de Long Island (note pour après : regarder où c’est sur Google Maps), et que votre target répond au doux patronyme de Rebecca Gellman. D’ailleurs elle ne vous a pas dit son nom de famille ; elle l’a écrit dans votre iPhone quand elle s’en est saisie pour vous donner son numéro, au moment de quitter le bar pour rejoindre la pizzeria. « Texte-moi lundi, on essaie de boire un verre dans la semaine ».
 
La proposition est formulée avec tellement d’aplomb et de naturel que vous en oublieriez presque l’objectif final de l’opération : texte-moi, on boit un verre — rien de sexuel là-dedans, non ? Vous auriez bien tort : pour sa part elle a déjà commencé à vous évaluer, à vous calibrer, à vous jauger. Règle de base : la JAP, Jewish American Princess, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a toujours un coup d’avance. La situation est sous contrôle.
 
Comme vous êtes un garçon bien élevé, et aussi un peu à cause de cette espèce d’autorité un brin castratrice, vous vous exécutez. Rendez-vous est pris pour jeudi soir, 19 heures, dans un bar à vin de l’Upper East Side, le 16ème arrondissement new-yorkais. (Parce que la pizzeria à Brooklyn, voyez-vous, c’est pour s’encanailler le week-end — la semaine, faudrait pas déconner non plus, retour aux fondamentaux).
 
Jeudi soir arrive enfin. Vous passez la porte de l’établissement avec un quart d’heure d’avance, histoire de prendre la mesure des lieux. Vous discutez un peu avec la barmaid, à qui vous expliquez que non, vous n’allez pas commander tout de suite, vous attendez quelqu’un. (Ne vous inquiétez pas, elle connaît la chanson.) Vous regardez un peu autour de vous, les autres tables, les autres gens. Il n’y a que des couples. Les mecs ont à peu près autant d’assurance qu’un lycéen en train de se faire massacrer par un prof d’allemand syndique maniaco-dépressif à l’oral du bac. Les filles s’en sortent à peine mieux : leur air faussement détendu rappelle un peu l’attitude caractéristique de Nicolas Sarkozy au Salon de l’agriculture.
 
Ce n’est pas un bar à vin, c’est une usine à dates. Comme il se doit, elle vous met une petite demi-heure dans la tête, histoire de vous montrer tout de suite qui est le patron. Vous êtes en train de vous demander si vous ne vous êtes pas trompé de bar quand elle finit par se pointer :
— Heeeeey, je suis tellement désolée ! J’étais au téléphone avec ma mamie en Floride, j’ai pas vu le temps passer !
— C’est pas grave, j’ai à peine attendu…
Voilà. Votre première date avec une JAP peut enfin commencer.
La suite au prochain épisode.
 
Rubin Sfadj
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© photos : DR

Article publié le 7 avril 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2014 Jewpop

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