Cher Roger Hanin

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Contrairement à mes lettres à Bruel et Alexandre Arcady, je dois bien t’avouer, Roger, que je n’avais pas du tout l’intention de t’écrire. Et puis, dimanche, en ouvrant le JDD, qu’est-ce que j’apprends ? Tu assignes en justice les fils Mitterrand. Et là, je me dis que très humblement, j’ai quand même deux-trois choses à te dire.

 

D’abord, sache que je n’ai rien contre toi. Ma mère te kiffe. Elle trouve que tu as de la prestance, une classe qui lui rappelle son regretté papa. Le soir où TF1 diffusait «Navarro», on avait pas intérêt à la gonfler. Elle avait même fait un deal avec mémé : «je t’appelle pas pendant ‘les Feux de l’amour’, tu m’appelles pas pendant ‘Navarro’».  Moi, mon trip, c’était de la regarder te regarder et de lui poser des questions connes.

 

Moi : Depuis le début de l’épisode, il est assis. Il s’est pété le coccyx ou quoi ?

Elle : Tais-toi…

Moi : Il a dû gruger les épreuves physiques au concours de la Police.

Elle : Chut ! On n’a pas entendu ce qu’il a dit à Bamako !

Moi : Je sais qu’il est noir, mais son nom c’est Bain-Marie, pas Bamako

Elle : La fille du commissaire, elle révise. T’as pas de devoirs ?

Moi : Tu m’étonnes qu’elle révise. Non mais sérieux, tu connais une fille de 13 ans qui s’appelle Yolande et qui a des copines ?

Moi : Albert, dis-lui de se taire !

 

C’est ainsi, et grâce à toi, que ma mère m’a acheté une télé pour ma chambre. Un achat qui a dégoûté mes grands-frères. Bien que partis de la maison, ils avaient tous eu du mal à avaler cette faveur que mes parents avaient toujours refusé de leur consentir. Faveur qui leur aurait permis d’éviter d’attendre que mes parents soient invités à un mariage ou une bar-mistva, pour mater tranquillement le film « rose » du dimanche soir sur M6.

 

Pour moi, Roger tu resteras éternellement :

– Le flamboyant Raymond Bettoun, celui qui «arrivé à Paris, faisait le taxi».

– Le tonitruant Albert Narboni, avec son rire gras et son stylo dans la poche de sa blouse de responsable des fruits et légumes.

– La voix de Dieu dans «Lévy contre Goliath».

 

Ouais je sais, tu vas t’énerver en me disant que t’as tourné pour Chabrol, Visconti, Truffaut, Autant-Lara et t’en passe. Je comprends ta frustration, mais ça sert à rien de bouder comme une combinaison de ski qui voit des maillots de bain s’entasser dans la valise. Prends exemple sur le cuistot de «Chez René et Gabin» : les plats qu’il réussit le mieux – la choucroute et le bœuf bourguignon –  il les prépare jamais.

 

Ceci étant dit, j’en viens à l’objet de ma lettre. J’apprends donc dimanche que tu assignes Jean-Christophe et Gilbert Mitterrand pour obtenir le remboursement de 300.000 euros prêtés à Danielle Mitterrand pour payer la caution de Jean-Christophe dans l’affaire de l’Angolagate. Il paraît, c’est ton avocat qui le dit, que «c’est l’âme fendue» que tu t’es résolu à porter l’affaire devant les tribunaux. Ouais je sais, ça fait toujours chier de se faire enfler par les siens. C’est d’ailleurs pour cette raison que Stéphane, mon frère aîné, celui qui a le plus réussi, a décidé d’arrêter de prêter de l’argent à mon frère Eric, celui qui croit encore qu’on est dans le désert et que Dieu va nous envoyer tous les jours de quoi bouffer sous forme de paniers-repas ou de bons d’achat. Comme avec Dieu, ça marche moyen, il lui arrive assez régulièrement d’essayer de taper Stéphane, qui au téléphone essaie d’esquiver, pendant que Betty lui fait  des signes de tête « NON », tout en enfilant sa dernière parure Van Cleef avec ses Ugg à poils pour aller retrouver ses copines au marché de Saint-Mandé.

 

Pour en revenir à ton histoire de 300 000€,  moi, je me prononcerais pas sur le fond, c’est juste que ça pose plusieurs problèmes. En effet, voir un juif demander remboursement d’une telle somme à une famille française catholique désargentée, ça va :

– Donner du boulot à tous les journalistes de Minute, qui sont aussi antisémites qu’anti-mitt’rrandiens.

– Susciter de gros éclats de rires convenus à la sortie de la messe de Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

– Inquiéter les institutions juives, qui vont sans doute transmettre ton dossier à l’aide sociale et te mettre sur la liste des bénéficiaires des colis pour Pessah.

 

Moi perso, ce qui me dérange le plus, c’est que tu aies attendu cette histoire de fric pour prendre tes distances avec la famille Mitterrand. Je me souviens du jour où mon père a découvert à la télé Pierre Péan parler du passé vichyste de celui qui était encore Président de la République. Il a passé 4 jours, prostré, en lâchant de temps en temps «ben mon vieux, si j’avais su…». Ça lui a fait le même effet que quand il a appris que les 186 kgs de vêtements qu’il avait collecté dans sa synagogue pour une association israélienne n’étaient pas du tout destinés à habiller des petits juifs dans le besoin de Beer-Sheva, mais avaient été vendus à un fripier africain. Avec l’argent, l’association israélienne a acheté des vêtements neufs «tsniout». Ce qui équivaut à une sorte de double-peine pour ces pauvres gosses, qui ne pourront même pas se dire comme dans la chanson d’Aznavour que «la misère est moins triste au soleil».

 

La dernière fois qu’on a entendu parler de toi, Roger, c’était quand tu démentais l’annonce de ta mort lancée sur le net. Pour tes 300 000 aussi, j’ai cru au fake et attendu ton démenti, en vain. Une chose est sûre, je fais partie de tes coreligionnaires qui, contrairement à Raymond Bettoun, pardonnent. Même à toi.

 
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
 

 
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