Foodie-Goodie n°3 : les Latkes

13 minutes de lecture

 
Il y a un mois…
– Maman, pourquoi c’est pas tous les jours Hanoucca ?
– Parce que, mon petit chéri, quand Dieu a fait aux humains le cadeau du feu et de l’huile, il a pensé que ce serait marrant de cacher le cholestérol dans la carte de fidélité. Ainsi, pour une vie de friture quotidienne, on reçoit une maladie coronarienne gratuite.
– C’est quoi une maladie coronarienne ?
– Ce sera rien si tu finis tes légumes.
– Oh c’est nuuul.
– Tu diras le contraire dans un mois, mange tes brocolis.
 

Calvin-Latkes-Hanouka-JewPop

 
Aujourd’hui…
Enfin les choses sérieuses ! Enfin le moment de l’année où pendant huit jours, balance et cuiseur-vapeur tombent dans l’oubli, enfin la fête qui apporte l’amour dans le cœur des enfants ingrats, et les taches indélébiles sur les tabliers de cuisine : le festival de l’huile.
 

Tablier-Latkes-Kitchen-Bazar-JewPop

Mon tablier¹, version neuve, donc propre

 
En tant que juive ashkénaze établie en Belgique, je me targue d’un double héritage question friture et pommes de terre. Mais il ne faut pas pour autant tout mélanger. Si les frites apprécient un double bain de graisse de boeuf en friteuse domestique, les latkes dignes de ce nom se dorent à la poêle et à l’huile végétale.
 
Petit rappel historique avant de passer à table, je vous la fais courte, on n’a pas quatre heures : au IIème siècle avant Djizeuss en Judée, les Grecs font la loi. Jusqu’à Alexandre Le Grand, les Juifs vivaient à peu près tranquilles, relativement protégés à Jérusalem, et libres partout ailleurs en Judée de pratiquer leur religion. À l’accession d’Antiochos IV Épiphane au pouvoir, changement radical d’ambiance. Le roi séleucide applique un plan tout pourri constitué d’un éventail de grandes idées mises à l’honneur auparavant et reprises plus tard par la horde de tous les tarés de l’histoire de l’antisémitisme mondial à travers les âges : profanation du Sanctuaire et du Temple, interdictions en tous genres portant sur les croyances, les prières, les pratiques (à commencer par la circoncision, point sensible par définition) ; conversions forcées, sacrifices forcés, installation massive de statues de Zeus dans tous les bleds de la région (le genre de machins en plâtre kitchissimes qu’on trouve encore de nos jours sur les pelouses des maisons en banlieue de Chicago), abolition de la Torah, et bien sûr, procès expéditifs et condamnations à mort pour tous les contrevenants.
 

Antiochos IV Épiphane

Antiochos IV Épiphane était tellement antisémite que par crainte qu’on l’accuse «d’en être» et qu’on mesure son nez, il fit procéder à son ablation pure et simple

 
Malgré cette grosse pression, le vieux prêtre Mattathias et ses cinq fils, dont le jeune Yéhouda, refusent de se prosterner devant l’idole parachutée au milieu de leur village de Modi’in. Yéhouda commence à organiser la révolte, progressivement rejoint par tous les Juifs du coin victimes de l’oppression grecque, qui refusent de se soumettre aux décrets délétères de l’autre cramé de la tête.
 

Judas le Marteau-JewPop

Photo de Judas le Marteau, prise en cours d’année de 4ème (option latin)

 

Les généraux Séleucides se succèdent pour tenter d’écraser la révolte des Maccabim. Apollonius, Gorgias, Nicanor, tous se prennent des gros coups de marteau, jusqu’à ce que le peuple juif soit définitivement sauvé d’une plongée sans appel dans la nuit de l’obscurantisme grec, où polythéisme, idolâtrie et salade de poulpe à tous les repas règnent en tyrans.

 

Ainsi Yéhouda HaMaccabi ne laissa pas la Nuit tomber sur le judaïsme. Au démontage de tronche en bonne et due forme du dernier général séleucide, vint s’ajouter le miracle de la fiole d’huile, que chaque cuisinière appelle en vain de ses vœux les plus pieux depuis cette époque.

 

Genre : vendredi 17 heures, Mémé Garfinkel se rend compte qu’elle n’a presque plus d’huile dans sa bouteille, et que sans Xavier pour lui appeler l’ascenseur – Xavier étant le brave shabbes goy du 4ème malheureusement parti en week-end – elle va devoir se taper cinq étages à pinces, et retour, pour aller chercher un litre de Puget à 8€95 chez Moussa, épicier maghré-bien. Alors qu’avec le coup du miracle, c’était plié en deux secondes, et avec son petit fond de fiole, on avait de quoi faire frire latkes et soufganiot pendant neuf jours, easy. Et même de quoi tenir jusqu’à Pessah, question calories.

 

Depuis la victoire des Maccabim, grâce à l’héritage des Hasmonéens descendants de Simeon (le frère de Yéhouda, et pas le dernier pour la baston, pour ceux que ça intéresse), allumer des bougies et faire frire des aliments dans l’huile se confondent dans un geste de résistance, de lutte de la Lumière contre les Ténèbres, et si on ajoute au tableau des petits enfants qui jouent à la toupie en pariant des pièces de chocolat, on peut espérer en faire une adaptation bien schmaltz par Spielberg.

 

Alors que ce soit pour prendre des forces en attendant la prochaine tentative d’extermination, que ce soit en hommage à Judas le Marteau ou à Judith et sa décollation home made d’Holopherne (fromages salés à gogo + binge drinking de vin rouge pour étancher la soif provoquée par les fromages = coma éthylique propice au dépeçage façon chasse au gibier dans le grand nord canadien), en souvenir des excès qui savent se mettre au service d’une noble cause, gavez-vous de latkes, avalez deux comprimés de citrate de bétaïne en dessert, et hop, considérez-vous comme un combattant de la liberté pendant une semaine. Si vos enfants ont une collection de pin’s, chouravez-les, ça vous fera de jolies petites médailles.

 

Gras bisous, et Hag Hanouccah Samea’h !

 

Noémi Garfinkel

 

Latkes-JewPop

 

Latkes de ‘Hanoucca

Pour 4 personnes : 
1kg de pommes de terre bintje, 
1 gros oignon, 
1 oeuf, 
2 cuillères à café de sel, 
2 cuillères à soupe de farine, huile de friture

.
 

Posez une passoire dans un grand saladier. Râpez-y les pommes de terre épluchées et l’oignon avec une râpe à gros trous. Laissez l’ensemble dégorger en le pressant de temps en temps pour faire sortir l’eau et l’amidon à travers la passoire. Les pommes de terre vont s’oxyder et rosiront légèrement, elles reblanchiront plus tard quand vous leur rendrez leur amidon (oui, quand on cuisine avec moi, on révise aussi sa chimie !).

 

Une fois que vous avez fini de râper (yo !), jetez l’eau remontée à la surface du saladier mais gardez l’amidon qui stagne au fond. Battez-le avec l’oeuf, la farine et le sel, et incorporez à ce mélange les pommes de terre et l’oignon râpés. Mélangez bien.

 Dans une grande poêle (ou deux ou douze, selon que vous prévoyez d’en faire un peu trop ou beaucoup trop), faites chauffer l’huile de friture en bain de 2 cm de hauteur. Formez des petites galettes avec deux grandes cuillères ou une louche un peu aplatie, et mettez-les par quatre ou cinq dans la poêle. Cuisez-les 5 à 7 minutes de chaque côté.
 

Le secret de latkes réussies est le maintien de la chaleur du bain d’huile. Il ne faut pas en mettre trop à la fois, cela risquerait de refroidir l’huile et d’entraver la bonne cuisson des petits trésors.

 

Les latkes se mangent bien dorées, croustillantes, avec de la crème fraîche épaisse, quelques brins de ciboulette, de la compote de pommes, du pastrami ou du saumon fumé, et des cornichons malossol (souvenez-vous que les meilleurs cornichons russes sont allemands !).

 

Astuce pour ne pas passer sa soirée aux fourneaux ni recevoir vos invités dans une maison parfumée au graillon, précuisez les latkes (en n’allant pas jusqu’au bout de la cuisson) quelques heures avant de passer à table. Aérez bien les lieux, changez de vêtements (gardez ceux avec lesquels vous avez cuisiné pour cirer les meubles), et au dernier moment, terminez la cuisson dans un four bien chaud.

 

Et si plus tard le petit fait son alyah, et que loin de sa mère qu’il a abandonnée, il réussit à survivre en se nourrissant de latkes tous les jours sans pour autant développer de troubles cardiovasculaires, la phrase de nos patriarches prendra alors tout son sens : Nes Gadol Haya Sham.

 

Lates-Hanouka-JewPop

 #NoGoogleImage #CMoiKiLéFai

 

Retrouver toutes les chroniques de Noémi Garfinkel sur Jewpop

¹Le tablier « In Latkes We Trust Oy Vey » est disponible ici

© photos, visuels : Calvin & Hobbes (Bill Waterson), Kitchen Bazar (Manuela Wyler), Noémi Garfinkel / DR

Article publié le 4 décembre 2015. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2015 Jewpop

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