Nos années lycée

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Si Danton écrivait « Après le pain, le premier besoin du peuple, c’est l’éducation », on a le droit de se demander si l’inventeur de la guillotine n’était pas un de chez nous… Les premiers dans la finance, les premiers dans la production cinématographique, mais les derniers au rang de l’éducation. L’école juive parfaite n’a pas encore été imaginée ni voulue. Reviens Lévinas, ils sont devenus fous ! On a les meilleurs médecins de l’hypothalamus à la gynécologie mais la pédagogie, c’est l’affaire des autres, on n’y pense pas, ça n’intéresse personne et on ne sait plus où mettre ses enfants. L’élitisme n’a rien de scolaire sur le curriculum vitae de la communauté. Etre juif à l’adolescence, c’est le périple qui nous mène et démène vers trois anti-modèles d’apprentissage et de déconstruction de la connaissance de soi en société.

 

 

L’école religieuse, le judaïsme à l’ancienne, comme on le vivait aux confins des grottes du Yémen ou du shtetl encerclé par les nazis. Moitié Mur de Berlin moitié Mur des Lamentations, on était tourné vers l’Orient, la gueule enfarinée dans les rouleaux sacrés dès sept heures du mat. Les heures de permanences, c’était le décrassage d’une semaine de commentaires de Rachi à connaître par cœur. On priait vénère, on étudiait sans blaguer. Toxicos du Limoud, le Talmud Torah, c’est la méthadone des autres, des assimilés et des faibles. Nous, on partait très loin, on dépassait le stade de la Paracha de la semaine pour se désintégrer à la Guemara et enfiler comme des damnés les shots de Mishna. Jusqu’à se dévisser la tête à la Kabbale, le premier interdit qu’on a bravé, le voyage d’illuminés qui peut virer au bad trip, un sidour sur la table pour camoufler l’illicite et inventer une posture naturelle comme d’autres achetaient Le Figaro Economique en même temps qu’un magasine porno caché sous le tas. Réseau Ozar Hatorah, Sinaï, Aquiba, Merkaz Hatorah, Beth Hanna, Hillel et tout ce qu’il peut y avoir comme patriarche, prophète ou rabbi devant un Ben ou sous un Bat.

Ce n’est plus une école rabbinique, c’est une marque franchisée, orthodoxe sans dérogation possible®. Tu n’as pas une seule photo de classe sans la tête du Rabbi qui t’accompagne avec toute sa dynastie du 16ème siècle à la première guerre du Golfe. Même sur les clichés d’identité, tu poses avec ton appareil dentaire et ton acné volcanique, mais un Sefer Torah sous le bras. Après une aliya ratée, mes parents étaient persuadés qu’ils y retourneraient, il fallait donc que je continue l’hébreu moderne. Manque de pot, ironie fatale ou coup du sort je me suis retrouvé chez des barbus, regards sévères à l’iranienne, qui étaient en deuil le jour de l’indépendance de l’Etat d’Israël dont ils ne reconnaissaient pas l’existence. Là-bas, l’argot c’était l’araméen et la dissidence, la bande de ceux qui portaient la kippa colorée. Heureusement, le Sentier s’est répandu, les fils de gérants en fuite, ruinés ou frappés par la foudre loubavitch, se sont ramenés. Une immigration non choisie. La révolution était en marche, la délinquance inévitable : ils ont introduit et passé sous le manteau la boutargue, un lot de tee-shirts LC WAIKIKI déstockés et la boukha. Quand Chevignon a rencontré le Maharal de Prague, la bataille a fait rage mais on a fini par avoir le droit de porter des vêtements de couleur et de danser le jour de Pourim.

 

 

Yavné. La seule chose qui surprend, c’est que l’école ne soit pas implantée à Neuilly ou dans le 16ème. Yavné-Janson de Sailly, même combat, on aurait même pu envisager un jumelage. Gossip Girl n’a rien inventé. Au commencement étaient le verbe, une première Rolex à la bar-mitsva et le coupé Mercedes. Yavné, terminus pour le tunisien blindé, le marocain fils d’ophtalmo et ceux qui ont vendu les actions de Naf-Naf ou Blanc-Bleu avant que l’affaire du Sentier ne passe en correctionnelle. Pour tout sépharade qui se respecte, la mobilité sociale et le passage en CSP+++ doivent commencer par Yavné ou rien ne se passera. C’est la chance de se trouver un bon mari, s’offrir une prépa à la vie en immeuble bourgeois-pierre de taille et se greffer sur des followers qui refusent le Royal Cheese mais pratiquent le Filet O’Fish à outrance et voyagent déjà aux States quand tu viens à peine de découvrir Deauville.

On connaissait tous un type que le chauffeur du père déposait le matin, un fils de star qui essayait de survivre aux années 80 et une beauté dont la mère avait fui la noblesse versaillaise pour un Boujenah à la peau mate qui l’avait ensorcelé à Saint-Tropez. Yavné, ce n’est pas une école juive, c’est le Springbreak toute l’année. Yavné, je ne danse par sur le mia, je ne danse qu’avec les miens. Ambiance chalala, sapes hors de prix et la langue acérée de la vipère qui protège son désert intellectuel. L’été sera à Tel-Aviv et nulle part ailleurs, Yad Vashem fait trop couler le mascara. Hors les murs, personne ne fait shabbat mais à l’intérieur tout le monde a transformé son judaïsme en réseau social. Théodore Hertzl a disparu des platines, C’est David Guetta qui a réussi, c’est lui le modèle à suivre. A Yavné, l’identité juive, c’est un business florissant de l’inculture, la commercialisation d’une identité perdue.

 

 
L’école laïque, c’est Jules Ferry qui te demande d’enlever la kippa quand il te fout des heures de colle. Tu as longtemps cru que tu partais pour l’enfer des enfers, l’abysse des prépuces, des nazis en pantalon velours, du chevelu en chemise en jean Wrangler et des keffiehs sur fond de survêtements Challenger Adidas. Et à l’arrivée, le bahut, rien que le nom te fait comprendre que rien ne sera casher. Au lycée, la personnalité n’est pas encore affirmée alors l’histoire de plusieurs siècles de pogroms et d’exil n’a pas trouvé de correspondance pour rejoindre la ligne 7 ou le RER C. La semaine, à la cantine, tu dois esquiver le rôti de porc ou tamiser chaque grain de riz avec son accessoire cantonais maléfique, et quand arrive le jour tant attendu du burger-frites qui va déclencher l’émeute et l’Intifada des réfectoires, tu passes pour un dingue à te concentrer sur la salade de choux ou marchander au self deux desserts et pas de plat.
 
Selon les périodes, la religion s’assume ou s’expulse. Une année, tu te lèves la boule au ventre, des trémolos dans la gorge et la sueur qui coule dans le dos pour avouer et expliquer que c’est bientôt Kippour et que tu vas avoir du mal à te coltiner la visite du Louvre et le musée d’Orsay la veille car Kol Nidré démarre tôt. Mais, l’été passera, et tu expliqueras qu’il t’est impossible de composer le moindre contrôle de maths pendant la fête de Shémini atsérète ou de passer au tableau les quarante-neuf jours du Omer. Heureusement, l’école publique, c’est aussi les filles, les premières cuites et les joints en douce. Bref, tu as compris que Sodome n’a pas eu besoin de Gomorrhe pour envoyer valser les traditions et reléguer le shabbat en quatrième division. C’est encore toi qui fait retarder l’arrivée du Messie et si le 3ème temple risque de se construire tout seul, le monde moderne a vraiment du bon, à se demander si être goy ne fait pas un peu de bien de temps en temps.
 
Benjamin Médioni
 
Retrouvez les chroniques de Benjamin Médioni « Nos années BBYO », « Nos années Betar », « Nos années libérales », « Nos années Loubavitch » sur Jewpop.
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Article publié le 10 juin 2013, tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2015 Jewpop

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