Nos années Betar Jewpop

Nos années Betar

10 minutes de lecture

 
L’histoire de la communauté juive française est un perpétuel recommencement. Psychologie des psychoses et sociologie de la répétition. Quand je vois la Ligue de Défense Juive à la Une de l’Express, comme chaque année avec ses sensationnels «Faut-il avoir peur des sectes ?» ou «Quel avenir pour les banlieues ?», je ne peux m’empêcher de repenser à mes années Betar. La LDJ est au Betar ce que l’iPad est à la Gameboy, un cousin éloigné. Mais on ne peut pas ignorer la réalité de la filiation. Dans toutes les familles, il y a toujours un parent dont on a un peu honte et qui, pourtant, assume parfaitement sa raison d’être.
 

Logo Betar Jewpop

 
C’était l’époque des manifestations contre la profanation du cimetière de Carpentras, Mitterrand qui fleurissait allègement la tombe de Pétain sous les huées de centaines de jeunes en colère, les années Ciel mon mardi ! où Dechavanne devait contenir sur son plateau un déluge de mecs révoltés, à l’assaut du cinglé qui réclamait une minute de silence pour les soldats allemands morts. C’était l’époque où, la semaine, j’allais au lycée peinard avec un tee-shirt Intifada Buster, un lanceur de pierres palestinien derrière le panneau sens interdit, et les week-end direction boulevard de Strasbourg. Chaque dimanche, je courais au Betar rejoindre ma bande de militants, les nerfs et la Maguen David à vif. Shimi Tavori et Haïm Moshé avaient beau chanter l’amour façon Gray et Barbelivien, avec les mêmes chemises fleuries mais la paire de sandales assumée qui termine le jean, j’avais préféré opter pour une autre tendance. Formation minutieuse à l’Apocalypse et préparation accélérée à la guerre de Gog et Magog. Militant forcené et infatigable, le Betari savait mieux que personne que la fin du monde était imminente et aussi inéluctable que la disparition de La Cinq, ou un retourné acrobatique de Jean-Pierre Papin.
 
– «Qu’est ce qui voit des ennemis partout et qui commence par un P ? »
– «Perspicace ?» (Woody Allen)
 

Betar

 
Le Betar est un mouvement organisé et ultra discipliné de prédateurs paranoïaques. Une vie bien remplie à chasser à tour de rôle le skinhead, le keffieh et le gaucho. Et ça faisait mal quand on tombait sur le premier crâne rasé avec la carte de l’Afrique autour du cou et le sac en bandoulière du Larzac. Nous, on avait beau porter le drapeau d’Israël comme un poncho, on ne plaisantait pas avec l’ennemi. Ça traquait sans relâche la Doc Martens ou la djellaba agressive dans chaque arrondissement de la capitale. Nous étions invincibles, la kippa colorée sous la casquette bleu nuit, avec le logo de la menora blanche. On connaissait par cœur la Tikvah, Smol Hayarden et, dans nos têtes, il n’y avait que la carte du Moyen Orient calquée sur la description parfaite d’Abraham, Isaac et Jacob, qui ont vu grand façon guides touristiques sous acide, ambiance promotionnelle Radio J et descriptions hautes en couleur : Kotel sons et lumières célestes, Tel-Aviv côté modérés de Bnei Brak, et Eilat version plongée sous-marine strictement limitée aux poissons avec écailles et nageoires. Demandez le programme ! Techouva et sionisme total included !
 
– «Shavoua tov mon frère, qu’est ce qu’on fait dimanche prochain ? On se revoit le documentaire sur les pionniers de Tel Hai ? On organise un débat sur Joseph Trumpeldor, ou on lit le kaddish pour Zeev Jabotinsky ? »
– «Dis-moi Ahi, on ne peut pas plutôt revoir les nibards de Sophie Marceau dans Pour Sacha ? Le sionisme des anciens, c’est sympa, mais ça manque un peu de meufs quand même…».
 
Ils avaient du bon ces militants du Betar, guerriers juifs qui nous apprenaient à survivre dans la jungle urbaine parisienne, et qui arpentaient les manifs pour protéger les petits vieux qui défilaient contre la venue d’Arafat à Paris. Ceux qu’on était bien content d’envoyer au charbon quand ça chauffait, parce qu’on avait fait espagnol deuxième langue et eux Krav Maga. Ben Gourion tendance Ben Gourdin. On se faisait la tête de Golani, les dents serrées et le sourire amer, le sweat kaki de chez Tsahal ramené des zones piétonnes de Jérusalem, où on avait négocié la doubone à la moitié du prix de la doudoune Chevignon. L’université et les écoles de commerce, c’était bon pour l’ashkénaze planqué ou l’assimilé qui ne voyait rien venir. Tant pis pour eux, on a passé un temps fou à les prévenir. Nous, on s’était juré de faire notre alya comme des braves, de se taper trois ans d’armée sans ciller, garde-frontière magav, unité d’élite sayeret matkal ou infiltrés dans les territoires façon douvdevan. Nous nous étions promis d’être des durs à cuire, des armoires à glace, on portera le sefer le samedi comme on présente ses abdos, fier et raide comme la Uzi. On apprenait à tirer, à se battre au couteau et au full-contact, je me demandais juste pourquoi personne ne nous avait jamais appris à tchatcher correctement, quand je regardais mes compères sur Envoyé Spécial ou Coucou c’est nous, la moue hargneuse mais la rage bourrée de fautes d’orthographe et de grammaire infâmes, une syntaxe taillée pour le bec-de-lièvre.
 

Jacques Kupfer Betar

Jacques Kupfer avant

 

Jacques Kupfer

Jacques Kupfer après

 
 
Heureusement, il y avait Jacques Kupfer, grand argentier du Likoud mondial et prêtre-roi du sionisme de combat, digne organisateur des Maccabiades de l’angoisse pathologique self-défense. Kupfer, c’est comme Richard Anconina, tu le vois tous les dix ans à la télé et tu te dis qu’il n’a pas pris une ride et te tient toujours le même discours. Ça veut toujours mettre à feu et à sang Gaza, l’Iran et le Pakistan, lancer toutes les guerres thermonucléaires possibles, et bâtir le troisième temple en rasant tout sur son passage de l’Atlantique à l’Oural. Kupfer, c’est Raël, le même collier de barbe et le même discours flippant. Que les Elohim débarquent et nous obligent à tous coucher ensemble, je pouvais le concevoir, mais là où j’ai décroché pour de bon, c’est quand je l’ai entendu expliquer que Dieu était forcément de droite. J’avais beau me poser des myriades de questions et être le roi du péché en moins de dix secondes, j’ai arrêté d’y croire. À vrai dire, Dieu, je l’ai jamais imaginé crâne rasé en tee-shirt jaune, à fumer des clopes rue des Ecouffes et poser avec son casque de scooter autour du bras.
 
 
Benjamin Médioni
 
© photos : DR
Article publié le 13 février 2013. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop


 
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3 Comments

  1. Sympa, jewpopien je dirai, avec ses excès agréables et amusants. Une épique époque, les gauchisto nazis ,c’était le nom de baptême des Mao ,Ordre Nouveau deTixier et ses nervis du GUD ,le Parti communiste qui défendait l’URSS coupable de ne pas libérer les juifs soviétiques ,nous avions grâce à ce Dieu de droite des ennemis sur tout l’échiquier, l’Islam anti juif , pardon antisioniste et les verts de gris sont arrivés bien plus tard.
    Heureusement nous avions Jean Lecanuet , pour les plus jeunes c’était un peu le GOASGUEN de l’époque.

  2. Vous avez peur de rien pour inventer une histoire pareille! Peut-être que vous vous la racontez à vous-mêmes par complaisance, que vous vous faites plaisir en imaginant votre passé de Betari ? J’y ai fait toute ma jeunesse jusqu’à l’âge adulte avant d épartir pour Israël $ 21 ans. Ce n’était absolument pas l’ambiance que vous décrivez. On avait des enfants de tous les âges qu’on éduquait dans l’amour du peuple juif et de la terre d’Israël. Il n’y avait pas de haine, même dans le groupe des Bne Zeev qui était la force de frappe adulte du mouvement et qui luttait pour la libération des Juifs d’Union Soviétique et s’entendait scander par trois mille gauchistes et autres « pro-palestiniens » « Mort au Juifs » depuis le parvis et le toit de la façade de Censier… mais luttait aussi contre l’antisémitisme de l’Action Française et d’Ordre Nouveau, j’y étais. Certains d’entre nous étaient très à gauche politiquement, malgré les violences trotskistes à notre rencontre.

    • même le tee-shirt sur la photo et le poing levé ne ressemble à rien de ce que j’y ai vu dans mon activisme intégral de l’époque… L’uniforme du Betar est resté le même à ma connaissance et dans le monde entier et l’idéal jabotinskien est celui du Hadar, un mot qui évoque noblesse et beauté morale. Mais bon, peut-être que sur Paris le groupe adulte, les Bnei Zeev (dont le leader au combat était un certain Yvan Adler) s’est transformé en autre chose par la suite, après les années 70 qui furent les miennes. Simplement, peut-être ne pas généraliser et dénigrer en bloc l’idéal qu’on a aimé, c’est bien. 🙂

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