Sirènes à Tel-Aviv (1)

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Valérie Abecassis partage sa vie entre Paris et Tel-Aviv. Elle est journaliste, auteur du livre Art Food, L’Histoire de l’art en cuisine et chroniqueuse sur Jewpop. Actuellement à Tel-Aviv, elle nous fait partager, à travers son « journal de bord », ses émotions au cours de chaque alerte.
 

1/ Jeudi 15 novembre, après-midi.

 

Ma première sirène d’alarme à Tel-Aviv. Nous n’avons pas de shelter (abri), la voisine dit qu’il faut rester dans l’escalier, s’éloigner des fenêtres. Son fils rigole, elle est inquiète. L’autre voisin est âgé. Au début, ça fait un peu peur et très vite cela donne envie de pleurer, pleurer pour tous ces gens qui de chaque côté vivent cela en permanence. Et vont le vivre encore. Un obus est tombé près de Jaffa. Là, pas loin. Ce soir, les imams français y sont, invités à la Résidence, ce matin ils ont rencontré Shimon Pérès. Ils sont venus pour la paix, repartent sous les bombes. Doivent ne rien comprendre.

 
2/Vendredi 16 novembre, midi
 
Deuxième alarme sur Tel-Aviv. Cette fois, dans le Shuk. Quelques personnes courent, les autres ne bougent pas, un peu désorientées, c’est déja naturellement tellement le bordel dans ce marché. Le petit vieux qui vend des pains artisanaux continue de regarder ses tickets de loto. Soit il est sourd, soit il a connu cela mille fois. En tout cas il ne quitte pas sa table de camping, ses sacs plastiques, sa boîte en carton avec ses pièces jaunes.
 

C’est long 2 minutes surtout au milieu des étals et des hangars foutraques. Un type me prévient, je n’avais pas compris, ni même entendu, je cherchais de l’huile de tournesol, il me dit de le suivre. On rentre tous dans une arrière boutique, une vieille femme très typée panique, on lui donne un verre d’eau. Je sors, ce mini hangar en tôle ondulée, avec ses briques en guise de murets a l’air moins solide que si j’étais dehors. « Poum ! », on entend la déflagration. Je n’aurais jamais pensé entendre ce bruit là un jour, et l’associer au mot bombe. A la seconde où la détonation s’est faite entendre, le marché a repris son cours normal.

 

Les cris, les chants, les vendeurs, les couleurs, les clients dans les gargottes du kerem hatemanim (quartier yéménite), ce tourbillon caractéristique du Shuk Hacarmel qui tourne un peu la tête en temps normal. En remontant vers la sortie, il y a comme chaque vendredi, le batteur fou et sa foule d’admirateurs, un type torse nu, chevelu qui tape sur des tambours (remplacé parfois par un autre type, un barbu qui est Jésus). Sous un grand arbre, il y a les habituels religieux loubavitchs et leur bénédictions divines. Sur les bancs, les petits vieux, leurs caddies rafistolés à leurs cotés. Dans la rue derrière, l’invraisemblable marché artisanal, sa foule et ses objets bizarres. Les flics tournent mollement. Seule différence, on voit les hélicos qui descendent et remontent du Sud, et tout le monde, absolument tout le monde, a son portable collé à l’oreille. Tel-Aviv, marché presque normal veille de chabbat.

 

 

3/ Samedi 17 novembre, après-midi

 
Troisième sirène sur Tel-Aviv. Hier chabbat, un jeune dînait avec nous. Un d’aujourd’hui. Raie au milieu, cheveux longs, baskets, t-shirt, iPhone et dégaine loose. Pas un grand bavard. Après dîner, avec sa copine, il rejoindrait des potes sur Tel-Aviv, car la vie continue, non ? Ils boiraient un verre, fumeraient. Ils feraient rien et tout, comme tout les djeuns du monde. Cet étudiant en physique au Technion de Haifa, descendu exprès sur la ville hier pour rassurer sa copine, a été appelé à sa base ce matin. Il n’avait pas ses lunettes de vue, il est remonté sur Haïfa puis redescendu dans le Sud. Un détail. Des lunettes.
 

Autour de moi, toutes les mères me disent que leurs enfants sont rappelés à leur base. Hannah, Mathias, Samuel… Toutes. A lire la presse française, c’est la guerre. Guerre déclenchée par Israël. Tsahal rappelle ses enfants, les gens du Sud passent leurs temps dans les abris. Au port de Jaffa, c’est un samedi comme un autre. Peut-être un peu moins de monde. Je ne sais pas. Les galeries pour touristes affichent les tableaux estampillés « Art Palestinien ». Les restaurants sont pleins. Pas bondés. En remontant la promenade en bois le long de la mer, la plage brille, le soleil aussi, les joueurs de raquettes tapent, les religieux marchent.

 

 

Je pense que chaque parent aux terrasses des cafés a un enfant appelé hier soir ou ce matin. J’ai décidé de ne parler que de ce que je voyais, j’imagine pourtant ces gosses, en vert sous une tente, avec un iPhone comme lien, rigolant, amers, avec les potes. On ne faiblit pas devant les potes. J’imagine que le succès du livre de Grossman leur est forcément parvenu aux oreilles, même si ce sont des djeuns d’aujourd’hui qui ne lisent pas. Le stade de foot est bouclé, ce soir le Maccabi joue. Des cars entiers larguent des supporters en jaune et bleu, j’en vois avec des drapeaux israéliens sur le dos. Ils vont se faire casser la gueule. Mais non, j’oubliais, c’est leur drapeau. C’est chez eux. La radio 88.8 coupe la chanson pour signaler que quelque chose est tombé sur Ashdod, puis Bob Dylan recommence. Et là, c’est chez nous. On entend la sirène pour la troisième fois à Tel-Aviv. On sait tout désormais. Aller au deuxième étage d’un immeuble si l’on n’a pas de shelter. S’éloigner de la voiture si on est sur la route, se coucher par terre et mettre ses mains sur la tête. On entre dans un immeuble au hasard. Le digicode bloque, on nous ouvre. Tout le monde est amassé au deuxième. La détonation est forte et proche. Et puis plus rien. On se dit toda, merci. Pas vraiment accablé, pas vraiment inquiet. Fataliste ? J’ai envie de dire constatatif. Tout le monde repart… Boire un verre, manger, sortir, regarder la télé et certainement appeler son djeun.

 

Valérie Abecassis

Photos © Jewpop

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