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Marcel Dalio, d'Odessa à la rue des Rosiers

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Renoir lui offrit deux des plus beaux rôles du cinéma dans La Grande illusion et La Règle du jeu.
« Dieu, c’est un bon petit juif de temps en temps. Le mien s’appelait Marcel Dalio », disait le grand Pierre Brasseur. Dalio, né Israel Mosche Blauschild le 23 novembre 1899 à Paris, développe ses sens rue des Rosiers entre l’épicerie familiale et l’hôtel de passe de l’immeuble. L’épicerie accueille de nombreux réfugiés qui, comme son père originaire d’Odessa, s’entassent dans ce havre temporaire.
 
Adolescent, il livre des meubles à des théâtres de son nouveau quartier, près de Clichy. À l’Œuvre, le cul traînant entre deux chaises qu’il y dépose, il suit en auditeur libre les cours de Jules-Louis-Auguste Leitner. Il réussit le concours du Conservatoire avec ses amis Joseph et Sibert Kessel. Les années 20, ce sont les lendemains de guerre qui chantent. Pas sur les morts ni sur ceux qui les ont claironnés, mais sur les ruines de tant de volontés. Enfin le naturel revient au galop, concourir dans les foires au plaisir. Un soir, le jeune Pierre Brasseur, ayant du mal à décoller, est poussé par sa mère vers le Théâtre des Deux ânes pour aller voir un artiste comique. Réfractaire à ce genre, il tombe pourtant sous le charme et fait la connaissance de celui qui deviendra son meilleur ami : Marcel Dalio.
 
Les années 30 sont les années folles non plus au niveau des mœurs mais de la folie meurtrière qui s’annonce. Renoir pressent cela et livre deux chefs d’œuvres. Tout d’abord La Grande illusion (1937) où les luttes de classes et de nations sont brisées par des amitiés et amours inattendus. Avec cette fameuse scène où les soldats évadés Maréchal (Jean Gabin) et Rosenthal (Dalio) s’engueulent : « J’ai jamais pu blairer les juifs ! », avant de se réconcilier au-delà du désespoir et des préjugés accentués par celui-ci. Certains critiques de cinéma blairent encore moins un juif qui a la prétention d’incarner un marquis comme le fera Dalio dans La Règle du jeu (1939), « le film des films » selon Truffaut. Malgré ou peut-être grâce à ce genre de critiques, deux ans plus tard Dalio triomphe à Paris alors qu’il est parti se réfugier à Los Angeles. Son portrait est affiché en grand par Vichy, il symbolise « le Juif aux traits typiques » exhibé aux masses afin d’être mieux reconnu et pourchassé.
 

 
En avril 1945, après de nombreux petits rôles (dont un dans Casablanca), Dalio rentre à Paris, apprenant par un journaliste que sa famille a été déportée. Un indicateur de la Préfecture lui explique que la concierge a dénoncé sa mère, son père et ses trois sœurs pour récupérer l’appartement de la rue d’Avron. Déportés à Auschwitz, ils ne reviendront pas. L’indicateur lui propose, moyennant finances, de « s’occuper de la concierge ». Dalio refuse et se voit cambriolé à trois reprises. Quelques apparitions marqueront les esprits avec Audrey Hepburn dans Nous irons à Monte-Carlo (1951), avec Simone Signoret où il joue son odieux souteneur dans Dédée d’Anvers (1948) et dans Razzia sur la chnouf (1955) avec Gabin et Ventura. Mais surtout, deux autres rôles. En 1970, le réalisateur Mike Nichols fait appel à son idole de jeunesse, Marcel Dalio pour un petit rôle de tenancier de bordel dans Catch-22. Face à Art Garfunkel, Dalio livre un monologue qui bouleverse le réalisateur, gratifié d’une standing ovation de Nichols et de tous les techniciens. Une prise suffira.
 

 
En 1973, Dalio est en tenue de Blauschild d’un autre siècle dans Les aventures de Rabbi Jacob (1973). Il y interprète le rabbin confondu avec Louis de Funès. Mais après l’odeur de l’épicerie de la rue des Rosiers, Dalio retrouve dans ses derniers films une ambiance plus proche de ses voisines et amies d’enfance, interprétant des petits rôles classiques dans des films érotiques. Cela, tout en inscrivant sur ses cartes de visite à l’intention d’éventuels futurs réalisateurs ayant un peu de mémoire, « redemandé partout, libre de suite ».
 
Steve Krief
Article paru dans le hors-série de l’Arche (nouvelle formule trimestrielle) du mois de novembre 2014, « Ces grandes figures qui ont fait la France »,  publié avec l’aimable autorisation de son auteur.
© photos : DR
Article publié le 17 décembre 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop

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