Nos années Loubavitch

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La rédemption dans le judaïsme, c’est l’Autoroute du Soleil à slalomer entre les péages et les flashs. Et au milieu coule un loubavitch, destiné à te rappeler à chaque événement que la Torah est la seule voie. Toute l’histoire du peuple y est écrite, le louba c’est un 10/18, le livre de poche réédité à jamais que tu retrouveras dans la bibliothèque de tes questions existentielles. Il reviendra tout le temps, pas susceptible ni gêné que tu ne l’aies écouté qu’un court instant ou oublié si vite. Le loubavitch, c’est l’alarme automatique du réveil qui vient sonner un dimanche matin ou en plein mois d’août, et qui te ramène à la réalité. Le louba, c’est la newsletter à visage humain qu’aucun logiciel anti-spam n’éliminera jamais.
 
Le Beth Loubavitch mondial, ce n’est pas une organisation, c’est un empire. Donald Trump n’a rien inventé. C’est une multinationale. Tu passes ton temps à t’imaginer des barbus tenir les murs et sentir le tabac froid et la fatigue dans leurs yeshivot, mais la firme est implantée à New-York. La capitale du monde porte la redingote et chante à Central Park. Brooklyn Boogie, le chapeau noir toujours usé par son marathon aux mitsvot, mais le louba préfère les Giants aux Jets. Loubavitch is a business, God Business. Everything is possible G.od is great. Tu galères avec ton père à la bar-mitsva de ton petit cousin, un jeudi matin à 7h45 où il y a sept tontons et trois cousins à peine, pas un avec son livre de prières, mais le Beth Loubavitch t’organise en trois semaines un gala de 5000 personnes au Zénith un lundi soir. Il n’y aura rien à manger et ça te va coûter un bras, le don et le carré VIP vont te saigner avec la violence d’un crédit revolving, mais l’Olympia était trop petit pour recevoir tout le monde. Loubavitch SA, unlimited torah box inc., capital social éternel prêt à accueillir tous les actionnaires, le commissaire aux comptes est dans les cieux, la part sociale est à valoriser ici-bas.
 

 
Ils sont de tous les événements, de tous les moments de ta vie. Le loubavitch, c’est l’aide-soignant sympa, l’infirmier gracieux, le guichetier du Pôle Emploi de ta conscience qui t’accueille avec le sourire. Tu les croiseras dans chaque couloir de ton histoire pour te réanimer ou te calmer un moment. C’est un yogi, un moindre shaolin qui aime aussi le foot et les films de Van Damme, mais son hygiène de vie est une marque déposée, façonnée à son Rabbi, dédiée à la dévotion de son peuple et à une course effrénée pour tenter de sauver l’humanité. Un talith catane, une kippa et son doggy-bag de téphilines sous le bras,et ça repart ! Tu n’es jamais seul mon frère, ne crains pas de venir à la syna sans connaître quelqu’un, ici, c’est chez toi, c’est la maison du Bon D.ieu. Revenir dans le droit chemin, prier, chanter et hâter la venue du Messie, ça n’a pas de prix. Pour tout le reste, il te faudra la Mastercard, et surtout à la kermesse de fin d’année qui se fera à Bercy.
 
Le loubavitch est serviable, souriant à l’excès et toujours d’une gentillesse que rien ne peut atteindre. Un Amish. Un mormon, l’alcool à flots et le caftan satiné toutes les fins de semaine en plus. On dirait des clones de Nikos Aliagas, tu ne les imagines pas un instant tout casser, s’énerver et chercher un hachoir en cuisine quand tout va mal. Ils ne sont pas conçus comme nous, ils ont confiance dans le Très-Haut et encore plus si tu es très bas. Mashiah règlera tout, pourquoi s’affoler ? Il faut y croire, surmonter l’épreuve, continuer à croire. On n’est pas dans ce bas monde pour se révolter mais pour se battre. Et on ne laissera aucune brebis égarée sur le côté, le loubavitch prend en stop tous les basanés qui traînent, c’est le shiroute, le taxi collectif de la communauté. Le louba a trusté toutes les bandes de potes qui sévissent dans les arrondissements chics et les banlieues qui craignent. Lâche ton poker le jeudi soir et arrête de comater un joint à la main devant la Star Ac’. Ou alors ramène ton herbe amère et viens écouter le Rebbe. Il est jeune, mais a déjà étudié avec l’un des élèves préférés du Rabbi, et a passé des années dans le Bronx à tracter et allumer la hanoukiya de la 5ème avenue par moins 15 et sous la neige. Et puis, la vodka est casher et la boutargue à volonté.
 

 
Loubavitch, c’est une association d’alcooliques anonymes à qui on ne demande pas d’arrêter, mais qu’on invite gentiment à dire la bénédiction avant de consommer. Finalement, il n’y a pas une partie privée de loubavitch qui ne soit sponsorisée par Charles Traiteur ou l’un de ses concurrents hors de prix qui vend le pot de pomme de terres harissa au prix du caviar de chez Petrossian. Mais c’est comme ça, on étudie mieux la main plongée dans les coupelles de méguina à dévorer le pastrami, et à passer des chaudrons de petites pizzas maison sans fromage ou de fricassées. Loubavitch start-up devenue leader mondial du judaïsme, la société de consommation revisitée par la Sidra de la semaine, comment on a trusté le Talmud par la communication. A l’américaine. Et comme la Torah, le loubavicth est no limit. Yes we can, yes we pray.
 

 
Le loubavitch, c’est aussi du social. De la banlieue sud au 19ème arrondissement de Paris, c’est la Cimade du judaïsme français. Les restaus du cœur avant Coluche, tu laisses ton adresse ou un numéro de téléphone et on viendra te sonner le shofar et te faire boire jusqu’à mourir pour Pourim. Tu ne seras pas seul, c’est péché de faire léhaïm tout seul, ça peut attirer le mauvais penchant. La maison Loubavitch, l’œuvre sociale du 20ème siècle, le Crous du judaïsme. France Terre d’Asile pour tous les petits voyous qui se sont arrêtés à temps, les cailleras de chez nous qui ont grandi en cité ou les anciens qui ont tâté de la PJ section délinquance astucieuse. Dans le moindre minyane de louba, tu as toujours un repris de justice ou un lascar sous sursis avec mise à l’épreuve. Ce n’est pas un hasard, heureusement qu’on l’a sinon il n’y aurait jamais eu minyane, allez léhaïm ! C’était écrit qu’il soit condamné pour escroquerie mais relaxé pour faux, léhaïm léhaïm ! Il a été jugé un 26, les étoiles se sont alignées, les planètes se sont arrêtées et le sursis est venu le protéger, le soleil est venu le chercher. Hazak hazak ! C’est le Rabbi de Loubavitch qui l’a protégé. On lui avait dit d’avoir toujours dans son portefeuille un poster 4×4 du Saint Homme.
 

 
Le Rabbi, quel mensch c’était ! Quelle splendeur ! Un guide ! Un père spirituel. Même Bob Dylan est venu réclamer une prière et son billet d’un dollar ! Et pourtant, il en a de l’oseille Bob Dylan. Un vrai messie ce Rabbi, une énergie hors du commun, une passion incroyable, et je me suis toujours dit qu’il en fallait sacrément pour reconstruire une vie juive à Varsovie ou Cracovie, et envoyer des émissaires de Bombay à l’Alaska en passant par la Patagonie. Les assistantes sociales de la religion, ces loubavitchs. Et faut pas croire, c’est un vrai métier que d’aimer son prochain.
 

Benjamin Médioni

 

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